elle est arrivée très blanche après minuit.

je ne l'attendais pas. c'était ce moment de la nuit, très doux et désolant, où j'avais envie de mourir. elle m'a couchée comme une enfant dans les draps rêches, et elle s'est couchée tout contre moi. toute la nuit, dans la courbe douce de son corps, j'ai respiré son parfum. un parfum d'ambre et de musc blanc.

le vent soufflait à tout rompre dehors. les arbres hurlaient. leurs branches craquaient comme des voilures. elle a dit : les arbres sont des bateaux. elle était douce, toujours, comme elle a toujours été douce avec moi, les mains jointes sous la table au lycée déjà, et le sourire radieux des longues soirées d'été, sur la terrasse en attendant l'orage des grandes plaines du kansas, elle riait elle disait que rien ne lui faisait peur, que rien ne devait jamais me faire peur, elle disait : les rêves s'en vont à la mer comme d'autres s'en vont au sommeil et moi je serai toujours là.

le vent soufflait à tout rompre, je voulais qu'elle me serre, et je voulais qu'elle m'aime, qu'elle m'emporte dans la nuit comme sous sa robe blanche, les grands espaces de ciel qui s'ouvrent entre ses bras.

le vent soufflait si fort, j'ai pensé aux arbres noirs sur le bord de l'île saint-louis, qui penchent leurs bras en avant jusqu'aller toucher l'eau, et comme étant petite je m'y pendais, idiote, pour attraper les vagues, le soleil en morceaux. sur le pont les gens jettent des cailloux dans l'eau, certains prennent des photos, ils s'en vont dans la vie comme vagabondant dans la ville inconnue et sans lumière, le soir ils s'endorment dans des lits qu'ils ne reconnaissent plus, la nuit et puis la pluie bercent leur sommeil, sous leurs paupières closes les rêves s'en vont loin à la mer comme s'en vont les bateaux et ne reviennent jamais.

elle est arrivée très blanche après minuit quand je ne l'attendais pas, elle a ouvert la porte et puis elle a refermé ses bras, dans le murmure long de la nuit j'entendais chanter les sirènes, l'appel de l'ombre et des rivières, - elle a dit : les rêves s'en vont à la mer comme d'autres s'en vont à la mort et moi je serai toujours là. alors dans le blanc de sa robe soudain j'ai voulu sa peau comme un refuge, ma patrie, mon repaire, dans le blanc de la nuit et le froissement du satin j'ai voulu ma maison, toute ma vie, un endroit secret et connu de nous seules que la nuit nous accorderait. j'ai voulu ce moment, pur de tout mot, de tout effet, hors du langage désordonné et des autres et du temps. c'était comme une vague immense, un tourbillon soudain, je veux dire : le dépassement de soi par un souvenir lointain.

elle revenait vers moi comme dans les beaux jours, toujours, des amitiés grandioses et du temps partagé, elle revenait à moi sur le bord de la plage, la rivière, un sentiment de rêve et de mort mélangés. j'ai fermé les yeux sous la pression de ses doigts joints, j'avais envie de rire, et pleurer, et battre des mains comme une petite fille, déchirer ma robe jusqu'à la taille et la faire entrer en moi, ma poitrine folle de jeune enfant, désespérément, la faire entrer toute entière dans mon cœur, ma peau, mon désir fou de mourir et vivre toujours - l'éternité.

au matin, sur mon oreiller baigné de larmes, elle avait laissé entrer la lumière.

-------------------------------------------------------------------------------------------------

O. © février 2002

photo : benjamin kiffel
musique (sur le lien) : wave, extrait de l'album gone to earth de david sylvian
nuit folle de février, en L toujours

retour